Contrecoups.
Auteur : Nathan Filer
Editeur : Michel Lafon
Parution : Août 2014
Pages : 352
RESUME :
« Je vais vous raconter ce qui s'était passé, parce que ce sera l'occasion de vous présenter mon frère. Il s'appelle Simon. Je pense que vous allez l'aimer. Vraiment. Mais d'ici quelques pages il sera mort. Et, après ça, il n'a plus jamais été le même. »
Matthew a 19 ans, et c'est un jeune homme hanté. Par la mort de son grand frère, dix ans auparavant. Par la culpabilité. Par la voix de Simon qu'il entend partout, tout le temps…
Matthew a 19 ans et il souffre de schizophrénie, une maladie qui « ressemble à un serpent ». Pour comprendre son passé et s'en libérer, Matthew dessine, écrit. Il raconte l'enfance étouffée par la perte, la douleur silencieuse de ses parents ; l'adolescence ingrate brouillée par les nuages de marijuana ; la lente descente dans la folie, l'internement… Mais aussi, avec un humour mordant, le quotidien parfois absurde et toujours répétitif de l'hôpital psychiatrique, les soignants débordés, l'ennui abyssal… Et le combat sans cesse renouvelé pour apprivoiser la maladie, et trouver enfin sa place dans le monde.
Bouleversant, tourmenté, souvent drôle, Contrecoups est un roman tendre et courageux, porté par une voix absolument unique.
CHRONIQUE :
(24 juillet 2015)
Contrecoups est le genre de livre difficile à chroniquer. Le genre de livre coup de poing et coup de coeur. Il n'a pas son pareil aussi bien pour le sujet abordé que pour la façon dont il est abordé.
Ce livre ne traite pas d'un sujet simple puisqu'il traite, sans tabou, de la schizophrénie. Mais malgré le thème peu abordable d'apparence, tout dans ce livre est fluide, simple et même souvent... drôle. Et c'est l'une des raisons pour laquelle ce roman est une merveilleuse réussite : il aborde un sujet compliqué avec énormément d'humour, de simplicité mais aussi de perspicacité.
Contrecoups c'est l'histoire de Matthew. Matthew a 19 ans, et il vous conte son histoire... Ah, j'oubliais : Matthew est schizophrène. Et son moyen de combattre sa maladie, de l'appréhender, c'est de poser sa vie sur le papier, grâce à des mots mais aussi à des dessins. Et ce sont ces mots que nous lisons ici. Alors son histoire, il vous la raconte à sa manière : ce sont ses souvenirs, parfois un peu perturbés ou parfois pas très nets, et il vous dit tout cela dans l'ordre dans lequel ça lui vient : c'est à dire sans ordre chronologique. D'un paragraphe à l'autre vous pouvez passer d'une étape à une autre de sa vie si particulière. Eh oui, c'est la confusion dans la tête de Matthew, et puis, il a ses mots à lui, ses réactions à lui, sa façon d'écrire bien à lui aussi... Mais ses mots sont percutants et correspondent au personnage, c'est un vrai délice à lire, un délice original et très intelligemment mené par l'auteur.
Vous penserez certainement, dit comme ça, que le récit doit être brouillon et qu'on doit s'y mélanger les pinceaux ! Eh bien non ! Encore une fois, Nathan Filer a été extrêmement doué dans son processus d'écriture : malgré le désordre chronologique, je ne me suis pas sentie perdue une seule fois. Grâce à sa façon de raconter, aux détails, j'ai toujours réussi à remettre les pièces du puzzle dans le bon ordre et ceci sans effort particulier. Tout se fait naturellement et je tire mon chapeau à l'auteur pour ce coup de force.
Tout dans ce livre, est fait pour que vous ayez l'impression de lire Matthew. A tel point que bien souvent, j'avais le sentiment de lire une autobiographie tellement cela me paraissait réaliste. Même la typographie change en cours de lecture en fonction de l'endroit où il vit : quand il est en séjour au centre, il écrit sur l'ordinateur, mais de retour chez lui, c'est une vieille machine à écrire qui lui sert à s'épancher. Et donc, en fonction de l'outil utilisé, la police d'écriture change. J'ai adoré.
"Voilà ma vie. J'ai dix-neuf ans et la seule chose que je maîtrise encore un tant soit peu dans mon univers, c'est la façon de raconter cette histoire. Alors je ne compte pas déconner. Ça serait bien si vous faisiez l'effort de me faire confiance."
Matthew va donc nous raconter sa vie, son enfance, vous conter les événements qui l'auront doucement fait basculer dans la folie, amené vers la schizophrénie. Il va vous parler de sa maladie, vous dire comment il la perçoit, comment il la vit... Très sincèrement, son histoire est bouleversante, et comme j'avais une certaine tendance à oublier qu'il s'agissait d'un roman, juste un roman, elle me prenait les tripes de façon assez poussée. J'étais tellement immergée dans l'esprit distordu de Mathew, que parfois, lorsque j'arrêtais ma lecture, il me fallait un petit moment pour reprendre pied dans la réalité. Une drôle de sensation, de drôles de secondes qui passaient en me donnant l'impression que c'était la réalité qui était distordue, où j'étais on ne peut plus perdue... Jusqu'à ce que je me rende compte que non, en fait, je n'étais pas schizophrène, j'étais juste en train de lire... Perturbant, non ?
Souvent j'avais le sentiment d'être dans le petit appartement du jeune homme, où son seul remède contre l'ennui était l'écriture et le dessin. Lors des phases d'internement, j'étais dans la chambre d'hôpital avec lui. Je faisais la connaissance des infirmiers et de l'environnement avec la vision du jeune homme, une vision certainement très différente de la mienne, mais j'apprenais à appréhender et comprendre sa façon de voir les choses.
"En phase de traitement lourd, je peux dormir jusqu'à dix-huit heures par jour. Pendant ces périodes-là, je m'intéresse beaucoup plus à mes rêves qu'à la réalité puisqu'ils prennent beaucoup plus de place qu'elle. Si je fais des rêves sympas, je me dis que la vie a du bon. Quand les médicaments ne marchent pas comme prévu - où si je décide de ne pas les prendre -, je passe plus de temps éveillé. Mais alors mes rêves trouvent le moyen de me rattraper.
On a tous en nous un mur qui sépare les rêves de la réalité, mais le mien est fissuré. En se tortillant, en se faisant tout petits, les rêves arrivent à passer au travers jusqu'à ce que je ne puisse plus bien faire la différence.
Des fois le mur s'écroule complètement."
Du côté des personnages, Matt nous parle beaucoup de sa famille : ses parents et ses grands parents qui l'ont toujours soutenu malgré ses sautes d'humeur, malgré la folie qui ronge son âme. Et puis il y a Simon, le grand frère de Matthew, qui tient une place énorme dans le coeur de son cadet. Mais la famille de Matthew, c'est aussi une certaine hérédité, et même un syndrome de Münchhausen par procuration qui pointe le bout de son nez (j'avoue, pendant un moment la mère de Matthew réussissait à me mettre très mal a l'aise...)
Même Matthew, malgré sa maladie, est un personnage hyper attachant. Certes on le sent perdre pied peu à peu au cours de l'histoire, et parfois, n'ayant plus de contrôle sur son esprit, il peut être dur ou blessant envers ses proches. Mais comment lui en vouloir dès lors que ce n'est plus lui qui est aux commandes ? Comment lui en vouloir lorsqu'il se confond en excuses dès qu'il reprend pied dans la réalité ? L'auteur nous fait pénétrer l'âme de Matthew, et l'on reste aux côtés de celle-ci durant toute la lecture.
L'écriture est tellement réussie que l'on voit le jeune homme s'enfoncer peu à peu dans la maladie, on sent l'effet destructeur de la marihuana, on comprend celui hypnotique des médicaments. Alors même qu'il vous raconte sa vie, de ses neuf ans à aujourd'hui, on est témoins de l'évolution progressive de sa folie...
"Il faut quand même que je fasse attention. Je suis déséquilibré mentalement et j'ai déjà eu des soucis dans le passé."
Cette histoire est émotionnellement très forte. Du début à la fin. Et moi qui suis peu sensible, les larmes ont coulé sur la fin de cette lecture. Pas des larmes de tristesse non, car malgré la vie dure et triste de Matthew et de sa famille, ce livre n'est pas triste. Mais des larmes d'émotion, celles-là ont dévalé la pente de mon visage sans me demander l'autorisation...
Contrecoups donc, est un roman bouleversant au plus au point, empli de tendresse grâce à cette famille toujours présente, même si fragile, même si brisée. Et souvent, je souriais, voire même je riais, car Matthew a beau être schizophrène, cela ne l'empêche pas de pouvoir être très drôle, parfois malgré lui !
Un roman étonnant et détonant dont on ne peut sortir indemne. Un livre unique en son genre, où un infirmier psychiatrique prend la voix d'un schizophrène pour vous conter une vie pleine d'émotions, de rebondissements, de tendresse, et bien plus encore...
Une lecture bluffante.
Un roman riche et profond, émouvant et drôle.
"Je lui ai envoyé un baiser qui voulait dire "au revoir et, putain, bon débarras !". C'était cruel de ma part mais elle ne savait pas lire les petits caractères. Elle a fait semblant d'attraper le baiser et de le presser contre son coeur."