Je Suis Ton Ombre.

Auteur : Morgane Caussarieu
Editeur : Mnémos
Parution : Juin 2014
Pages : 288


RESUME :

Poil de Carotte vit seul avec son père handicapé. Souffre-douleur de ses camarades, sa vie bascule lorsqu'il se rend dans une ferme calcinée en lisière de forêt. 
         


CHRONIQUE :

(04 Octobre 2017)

Morgane Caussarieu était sans contexte revenue avec un roman coup de poing. « Je suis ton ombre » est sa deuxième parution (en roman j’entends), et je dirais que le mot résumant ce livre est percutant.
 
J’avais déjà fortement apprécié « Dans tes veines », ce livre qui ne prend pas de gants et vous jette sans défense dans l’univers glauque et malsain des vampires. « Je suis ton ombre » ne fait pas exception à la règle du glauque et malsain à ceci près que je l’ai trouvé plus profond que son grand frère.
 
Nous rencontrons ici Poil de Carotte, un gamin de douze ans vivant chichement avec son père dans un village paumé quelque part dans le sud-ouest de la France. Le môme a beau avoir vécu une tragédie, je ne peux pas dire que j’ai compati à ses malheurs, car ce psychopathe en herbe, sadique envers les animaux, a de quoi en débecter plus d’un, ce qui, au passage, est l’effet recherché. Autant vous dire que je me suis délectée à chaque fois que je le voyais morfler… Que j’espérais qu’il crève, de façon lente et douloureuse de préférence. Résultat, reste à savoir qui est le plus psychopathe des deux… lui ou moi ?
 
Un jour comme un autre, le gosse va pourchasser un chat jusque dans la ferme voisine, abandonnée suite à un incendie ayant tout ravagé. Réchappé des flammes, un carnet. Poil de Carotte va s’en emparer et va commencer une étrange lecture, qui l’emmènera dans la Louisiane colonisée par les français, sous le règne de Louis XIV.
 
« Suis-moi dans la forêt », qu’il me dit.
Je fais comme si je l’ai pas entendu. Les chats, ça cause pas, d’abord. Sauf que celui-là, il doit pas être au courant, parce qu’il continue :
- Tu as la frousse ou quoi ? Un grand garçon comme toi, ça n’a plus l’âge de croire aux fantômes, si ?
- Les matous, ça cause pas. J’ai au moins l’âge de savoir ça.
Tout ce que je trouve à répliquer pour me défendre. Pas brillant.
- Qu’est ce qui te dit que je suis vraiment un chat ? »

 
Alors je ne sais pas si vous le voyez venir, mais Morgane Caussarieu va ici aborder de manière crue, réaliste et percutante le thème de l’esclavage. Accrochez-vous les entrailles, car elle vous plonge sans filtre dans la cruauté des esclavagistes...
 
« - Ce n’est pas en éduquant vos gens ainsi qu’ils apprendront de leurs erreurs.
- Allons, mon cousin. La pauvrette vient tout juste d’arriver et elle n’a pas dix ans.
- C’est un animal. A peine plus futée qu’un chien de chasse, et moins docile, le crâne plus borné, le sang plus chaud. Le seul moyen pour que mes jeunes dogues comprennent qu’ils ne doivent pas me salir en me sautant dessus, consiste à leur administrer le fouet, mon cher marquis.
- Vous avez vos méthodes, Alphonse, et j’ai les miennes. Même adultes, ces créatures sont toujours de grands enfants. Avec un peu de patience, elles pourront être éduquées et devenir des catholiques convenables. Des êtres humains, oserais-je même dire. »

 
D’ailleurs, on retrouve un peu le pendant de ce thème dans l’époque actuelle (bien qu’il s’agisse en réalité du début des années 2000, je pense), puisque certains des camarades de classe de Poil de Carotte devront faire face au racisme. Ajoutez une bonne couche de viol par-dessus, et vous comprendrez que l’auteur aborde des sujets sensibles, sans les bonnes meurs qui parfois voilent les faits dans les romans. Non, ici, on vous parle de misère, de viol, de racisme et d’esclavage de manière brute, sans filtre et surtout… réaliste. Car oui, la réalité est violente, dure aussi, et croyez-moi, l’auteur vous la balance en pleine face.
 
Ceci étant, son sens de la réalité et son absence de scrupule à vous présenter les faits dans toute leur mocheté rendent ce récit encore plus marquant. Difficile de ne pas réfléchir lorsque vous lisez « Je suis ton ombre ». Difficile de ne pas être secoué.
 
Lorsque nous plongeons dans la Louisiane du début du XVIII° siècle, nous rencontrons deux jumeaux, Jean et Jacques, dans leur lente et inéluctable descente aux enfers. L’histoire, et le lien entre passé et présent, je vous laisse les découvrir, mais vous y retrouverez la créature de prédilection de Morgane Caussarieu : le vampire.
 
Comme je vous le disais, la plume ne prend pas de gants pour nous parler, et j’ai adoré cette façon d’adapter le vocabulaire et la façon de narrer avec les personnages. Poil de Carotte parle un mauvais français un peu patoisé et bourré de fautes, là où l’écrivain du journal offre une prose parfaite, plus en subtilité.
 
Je suis ton ombre est bien plus qu’un roman de vampire glauque et malsain. C’est un roman qui fait réfléchir et qui montre surtout que les créatures les plus monstrueuses et éperdues de violence n’ont pas forcément des canines démesurées.
 
Alors oui, ce roman dérange parfois, notamment lorsque vous le lisez juste avant de dormir (adieu doux rêves de licornes sur un arc-en-ciel…), mais il dérange surtout par sa capacité à nous présenter la réalité dans toute sa violence.
 
D’autant que l’auteur a une connaissance de La Louisiane de cette époque assez profonde, on sent un véritable travail de documentation, et les détails historiques et sur la vie de tous les jours rendent encore plus réaliste et percutante l’horreur quotidienne. En effet, elle ne vous présente pas un récit édulcoré et touristique qui vante les charmes de la ville, mais vous fait prendre conscience des côtés sombres de la vie à cette époque (animaux dangereux, chaleur étouffante, maladies, cruauté humaine…).
 
« Remontant le Bayou Saint-Jean, nous passâmes en trombe devant le cimetière aux relents nauséabonds et vîmes deux nègres au nez et à la bouche enroulés dans des morceaux de tissu, qui se tenaient debout sur un cercueil percé, afin que l’eau pénètre dedans et qu’il ne flotte pas à la surface. La ville se trouvant au-dessous du niveau du fleuve, on ne pouvait pas creuser des tombes sèches pour les nouveaux défunts, dont les corps dérivaient dans une mare pestilentielle. Parfois, quand le vent venait du mauvais côté, la puanteur des cadavres se répandait sur La Nouvelle-Orléans. »
 
Enfin, je dois dire que si Poil de Carotte est un gosse pour le moins antipathique, il est difficile de ne pas s’attacher à Jean et Jacques, les deux mômes de Louisiane, et d’origine française. Le travail fait sur les personnages pour vous les rendre agréables (bien malgré vous) ou détestables est admirable et les sentiments vis à vis d’eux étaient très réels, au final. Assez troublant.
 
« Je suis ton ombre » est ce genre de livre qui vous parle de cauchemars… bien réels (ou pas). « Je suis ton ombre » dérange, percute, envoûte… et fait réfléchir.
 
Mais bon, ce qui a de bien, c'est qu’au final Poil de Carotte prendra cher pour sa cruauté. Et ça, c’est vraiment génial (fin de la chronique sur un petit rire sadique).


Trailer :