Mais c'est à toi que je pense.

Auteur : Gary A. Braunbeck
Editeur : Bragelonne
Parution : Avril 2010
Pages : 360
RESUME :
Pour Thomas, Arnold, Rebecca et Christopher, c'est la fin du supplice. Ils viennent d'échapper à leur tortionnaire, un tueur en série pédophile qui les séquestrait depuis des années. Mais une nouvelle épreuve les attend : et si on les avait oubliés ? et si on ne les aimait plus ? Horriblement défigurés et mutilés, ils ont besoin d'un adulte pour les ramener à leurs parents, que certains n'ont pas vus depuis dix ans… et ils ont choisi Mark.
CHRONIQUE :
(22 Février 2015)
Ce livre est une véritable claque, magistrale et douloureuse. Jamais un livre ne m'a autant bouleversée, autant mise mal à l'aise. Pourtant je suis une inconditionnelle des Stephen King, Maxime Chattam et autres Jean-Christophe Grangé. Mais aucun d'eux n'a jamais réussi à me mettre mal à l'aise. Créer une ambiance sombre, lourde, angoissante... Oui. Me faire me sentir mal au cours de ma lecture, non.
« De temps à autre, l'un de ces mômes vous fait une brève impression [...] mais tous ou presque sont accompagnés par un adulte. Alors qui peut dire si ce dernier est un parent, un oncle ou une tante, un frère aîné ou un monstre qui l'a enlevé voilà des jours, des semaines, des mois ou des années ? Et, en toute honnêteté, combien de temps le visage de cet enfant reste-t-il gravé dans votre mémoire ?
« M'avez-vous vu quelque part ? »
Peut-être, c'est possible. Mais pas moyen de m'en souvenir. »
Mark revient d'un court séjour pour affaires familiales. Malheureusement, la voiture prêtée par son beau-frère pour faire le trajet ne tient pas le coup et c'est au milieu de l'autoroute que Mark voit se terminer son retour aux pénates.
Et c'est au milieu de ce même tronçon de route qu'il voit démarrer son cauchemar. Un cauchemar qui le bouleversera à jamais. Car Mark a été choisi par un groupe d'ados. Choisi pour les ramener chez eux.
Les enfants sont extrêmement défigurés et psychologiquement perturbés : ils viennent d'échapper à un violent tueur en série, Grendel. Et ils ont besoin de Mark pour retrouver leurs parents, qu'ils n'ont pas vu depuis plusieurs années...
« [...]n'importe où, n'importe quand, quelles que soient les circonstances, indépendamment de votre prudence et de votre vigilance, une main dans la foule peut saisir votre gosse par le bras et l'entraîner loin de vous… et vous vous retrouvez à agrafer des prospectus fait maison aux poteaux téléphoniques avant d'avoir eu le temps de comprendre ce qui vous arrive. »
La plume de Gary A. Braunbeck est percutante, cynique, empreinte de détails d'une violence inouïe. Elle est hyper efficace, à la fois emplie d'horreur et dégoulinante d'un humour sarcastique.
Le texte est une alternance entre le présent : qui consiste à cohabiter dans un van pour ramener les différents enfants chez eux, et le passé, où Mark découvre peu à peu l'ampleur de l'horreur subie par ces gosses. Les tortures infligées sont telles que Mark n'arrive même pas à en vouloir à ces ados de l'avoir enlevé et de se servir de lui...
Mark est un homme comme les autres. Bardé de diplômes mais simple agent d'entretien, il est très sympathique et attaché à sa femme. Face à l'épreuve à laquelle il fait face, il montre une terreur bien naturelle mélangée à un humour cynique que j'ai adoré. On ne peut que s'attacher à Mark, cet homme ordinaire embarqué dans une aventure pour le moins hors du commun. Forcé à voyager avec les ados contre sa volonté, il va pourtant montrer une réelle envie de les aider : les enfants ont subi tant d'horreurs qu'il veut les ramener à la sécurité, au semblant d'une vie plus normale. Bientôt, la menace d'un flingue ne sera plus nécessaire pour que Mark suive le groupe. L'atmosphère entre les quatre ados et lui va se détendre, mais restera toujours sur le fil du rasoir. Le côté instable des personnalités des jeunes fera que la bonne ambiance pourra basculer en un quart de tour dans la folie et la terreur... Malgré de multiples crises de panique, de nombreuses nausées et beaucoup de peur, Mark fait preuve d'une force de caractère incroyable et d'un cœur en or. Un road-trip qui le changera à vie.
« Grand Dieu. Je me tenais au bord de la route, à quatre heures et demie du matin, débattant tranquillement de la meilleure technique pour contenir la puanteur de corps en décomposition à l'intérieur d'une caravane. Tout marchait comme sur des roulettes. »
Les ados... Arnold, Thomas, Rebecca, Denise et Christopher, le plus âgé et celui qui tient le rôle de chef. On ne voit que peu Denise car elle est la première à rentrer chez elle. Mais nous passons le reste du roman avec les quatre autres. Rebecca porte toujours un masque de façade afin de cacher sa fragilité. Les autres s'appuient toujours sur elle, notamment pour les soigner. Malgré tout ce qu'elle a subi elle reste une jeune fille adorable et emplie d'amour pour ses trois compagnons. Elle montre beaucoup de gentillesse et d'empathie envers Mark, et sa douceur ainsi que sa détermination équilibrent le groupe. Thomas est sans doute le plus absent psychologiquement. Il est profondément marqué et a tendance à s'enfermer en lui-même. D'autant qu'il ne peut marcher. Arnold est tempéré et fait ce qu'il peut pour ne pas lâcher prise. Il apprécie Mark et n'hésite pas à se dresser contre Christopher afin de prendre sa défense. Il est une sorte de bras droit, un second au caractère solide.
Et enfin il y a Christopher. Véritable bombe à retardement, il est le pilier du groupe mais aussi l'un des piliers du livre. Ayant été enfermé le plus longtemps par Grendel, il a vu mille et une horreurs et en sera marqué à jamais. Doté d'une détermination farouche, sa personnalité est toujours sur la corde raide, prête à basculer dans la folie. Il participe à l'ambiance hyper tendue des scènes se passant dans le présent, de par son caractère changeant. Christopher est le plus souvent de mauvaise humeur et très cynique. Il finira par expliquer la raison profonde de ce comportement.
Ce livre est une vraie révélation, car au lieu de nous présenter l'enfermement et la fuite, l'auteur nous présente la suite : le retour chez eux d'enfants enlevés et torturés. Les scènes de torture sont d'ailleurs le seul bémol du livre. La seule chose qui fait que je mette 17 au lieu de 20 à ce livre sur livraddict... En effet leur violence est presque empreinte d'un certain voyeurisme qui m'a personnellement dérangée : cela allait un poil trop loin pour moi. Le mélange des tortures physiques et de la prostitution violente était sans doute un peu too much...
Mis à part cela, les personnages sont extrêmement travaillés, aussi bien physiquement que psychologiquement et crédibles dans le sens où chacun est marqué par les épreuves. Les ambiances sont réussies : pesantes, angoissantes mais aussi parfois plus légères et tendres. Oui tendres car une relation certaine s'instaure entre Mark et ses ravisseurs. Parfois l'ambiance se détend, les rires fusent, l'espoir renaît. Enfin, les enfants peuvent se permettre d'imaginer le bout du tunnel. Quant à l'intrigue, même si un fil conducteur est respecté, l'auteur ne résiste pas à la tentation de nous offrir surprises et retournements de situation.
Un livre époustouflant, original mais très, très, très glauque... Une immersion dans les recoins les plus sombres de l'âme humaine, à éviter aux âmes sensibles (sans rire).
Un roman contradictoire s'il en est : il vous fera faire des cauchemars mais vous serez incapable malgré tout de le lâcher... Préparez-vous à laisser Christopher et Grendel hanter vos nuits...