Un éclat de givre.

Auteur : Estelle Faye
Editeur : Les Moutons Electriques
Parution : Juin 2014
Pages : 256

RESUME :

Un siècle après l'Apocalypse. La Terre est un désert stérile, où seules quelques capitales ont survécu. Dont Paris.

Paris devenue ville-monstre, surpeuplée, foisonnante, étouffante, étrange et fantasmagorique. Ville-labyrinthe où de nouvelles Cours des Miracles côtoient les immeubles de l'Ancien Monde. Ville-sortilège où des hybrides sirènes nagent dans la piscine Molitor, où les jardins dénaturés dévorent parfois le promeneur imprudent et où, par les étés de canicule, résonne le chant des grillons morts. Là vit Chet, vingt-trois ans. Chet chante du jazz dans les caves, enquille les histoires d'amour foireuses, et les jobs plus ou moins légaux, pour boucler des fins de mois difficiles.

Aussi, quand un beau gosse aux yeux fauves lui propose une mission bien payée, il accepte sans trop de difficultés. Sans se douter que cette quête va l'entraîner plus loin qu'il n'est jamais allé, et lier son sort à celui de la ville, bien plus qu'il ne l'aurait cru.

CHRONIQUE :
(12 janvier 2016)

Ce livre est le premier d'Estelle Faye que je lis. Il m'a permis de faire connaissance avec sa plume magnifique. Car ici, l'auteur nous offre une histoire tout en poésie, en étrangeté aussi. Mais je crois comprendre que poésie et originalité sont un peu sa marque de fabrique.

Tout d'abord, je tiens à mentionner le superbe objet livre. Couverture rigide, Montmartre après l'apocalypse sur la couverture... Magnifique. Décalé. Attirant. A l'image du livre.

Mais revenons à nos moutons, sans mauvais jeu de mots sur l'éditeur.

Paris, 2267, un siècle après l'apocalypse. Le chaos règne en maître et seule les grandes villes ont plus ou moins survécu. La science a été trop loin. L'homme a été trop loin. Et cela a coûté la vie de la Terre. Dans ce qu'il reste de la ville, des êtres hybrides vivent en clan, des sirènes essaient de réfréner leurs pulsions meurtrières tandis que des plantes GM ne se gênent pas de leur côté pour dévorer toute viande vivante. Paris survit pitoyablement mais au-delà de la Bordure ce n'est que vide et chaos. Malgré tout, Paris reste fidèle à elle-même : elle fourmille de vie. Étranges vies certes, mais vies foisonnantes, trépidantes, dangereuses parfois.

"Ils nous racontent l'Ancien Monde, quand la planète entière ressemblait aux films-vidéo, aux vieilles photos et aux livres d'images. Quand il y avait autre chose, partout autre chose, à la place des Terres Vides grises et fissurées. Quand les couleurs existaient au-delà des villes. Quand les appellations sur les mappemondes, Océanie, Nunavut, le Cap, Hong Kong... désignaient encore des endroits concrets, réels. Pas seulement des coins disparus."

C'est dans ce décors étrange, décalé, à la fois monstrueux et poétique que nous faisons la connaissance de notre personnage, lui aussi hors norme : Chet. Chet vit la nuit, chante du Jazz de l'ancien monde dans les sous-souls. Habillé en femme, torturé de l'intérieur, il sait aussi arrondir ses fins de mois en accomplissant des missions plus... musclées.

Et ce livre est l'une de ces histoires. Lire ce livre, c'est suivre Chet dans une tranche de sa vie, découvrir Paris telle qu'elle est devenue après l'apocalypse. Comprendre avec une poésie quelque peu décalée les conséquences des actes de l'homme. C'est se promener dans un monde en perdition, qui essaie de survivre tant bien que mal. C'est suivre ce jeune homme mal dans sa peau, mal dans sa tête, se chercher, mais aussi, chercher à sauver Paris.

A ses côtés, son amie et amour d'enfance : Tess. Une jeune femme forte et remarquable que j'ai adorée par ses envies de bien faire, son courage, sa volonté. Elle fait paraître Chet encore plus fragile et perdu. J'ai aussi aimé Virgile, ce personnage qui vit en Enfer évidemment, superbe clin d'œil au poète de Dante. Ce personnage détient beaucoup de clés dans cette histoire, et lui aussi, au final, est une victime de plus de l'Apocalypse, de la folie humaine.

J'ai adoré cette balade fantastique que m'a offerte Estelle Faye à travers un Paris merveilleux, un Paris lointain et différent. Et je suppose que pour ceux qui connaissent la ville sur le bout des doigts (ce qui est très loin d'être mon cas), la balade doit être encore plus enchanteresse.

J'ai encore dans la tête les images qui se sont formées au cours de ma lecture. Ces hybrides étranges, qui vivent en Enfer, ces sirènes aux dents bien trop pointues, ces amoureux de la nature qui font pousser des plantes dans les immeubles, et ces nostalgiques de l'ancien monde qui essaient de recréer des centres commerciaux...

"Les hybrides, à quelques mètres, braquent leurs pupilles étirées vers moi. Vers mon bras. Ma plaie ouverte, qui bave du raisiné. Elle salivent. La soif de sang. Je les sens qui résistent, cependant. La contrainte plisse leurs visages d'ordinaire si lisses. Leurs narines s'agrandissent et palpitent comme des fleurs sous la rosée. La tentation les torture, elles n'y résisteront pas longtemps.
_ Cours, Chet, me supplient-elles, et leurs voix rauques n'ont plus rien d'humain. Cours, Chet, cours."

J'ai encore dans la tête la personnalité si étrange de Chet, ce héros qui n'en est pas un, cet élément atypique mais dominant du décor. Ce personnage qui n'a rien demandé mais sur qui tout repose. Je compatis encore pour la poisse qu'il se traîne, le mal-être qui le ronge.

Estelle Faye nous offre un monde fragile mais attachant, dénaturé, vide, mais cherchant à renaître encore et toujours. Comme Chet au final. Ville et personnage sont en parfaite harmonie dans leur dénature. Nous lisons ce livre pour l'atmosphère particulière qu'il dégage, cette ambiance unique. Beaucoup de descriptions précises, mais qui servent parfaitement le récit, car ici le décor à toute son importance. Le décor est en lui-même un personnage.

J'aurais peut-être aimé une fin plus développée, qui aille plus loin encore. Qui ne nous abandonne pas Chet comme cela. Cet étrange personnage à la fois attirant et repoussant. J'aurais aimé savoir ce qu'il devenait, finalement.

Un livre poétique à souhait, d'une originalité incroyable, dont je ne peux pas réellement vous parler avec justesse tant il est hors des sentiers battus. Le mieux est encore de laisser l'auteur vous faire visiter son Paris post-apocalyptique. Vous serez surpris par Chet, c'est sûr, mais je gage que le jeune homme saura vous toucher vous-aussi.