Une braise sous la cendre., T1.

Auteur : Sabaa Tahir
Editeur : PKJ
Parution : Octobre 2015
Pages : 525

RESUME :

Je vais te dire ce que je dis à chaque esclave qui arrive à Blackcliff :
la Résistance a tenté de pénétrer dans l'école un nombre incalculable de fois.
Si tu travailles pour elle, si tu contactes ses membres, et même si tu y songes, je le saurai et je t'écraserai."

Autrefois l'Empire était partagé entre les Érudits, cultivés, gardiens du savoir, et les Martiaux, armée redoutable, brutale, dévouée à l'empereur. Mais les soldats ont pris le dessus, et désormais quiconque est surpris en train de lire ou d'écrire s'expose aux pires châtiments. Dans ce monde sans merci, Laia, une esclave, et Elias, un soldat d'élite, vont tout tenter pour retrouver la liberté… et sauver ceux qu'ils aiment.

CHRONIQUE :
(11 Novembre 2015)

Ce livre a fait beaucoup parler de lui dernièrement : il s'agit d'un livre de Fantasy Young Adult. Mais je mets un bémol sur le YA car nous avons affaire à un univers très fouillé mais surtout très sombre. Les plus sensibles pourraient en être gênés.

La quatrième de couverture est volontairement floue sur le contenu et je préfère ne rien vous dire non plus. Sachez seulement que nous sommes dans un monde différent du nôtre, à l'écart de tout. La première de couverture, elle, est juste sublime... Je l'adore.

Le cadre de l'histoire est très restreint : une "école" (vous verrez que les guillemets sont plus qu'adaptés), au milieu d'un désert, entourée de falaises mortelles et d'une ville. Au delà, du sable, des Terres Oubliées, dangereuses et inhospitalières où il ne fait pas bon traîner. Des légendes, qui parlent d'efrits, de djinns et autres démons. Des soldats effrayants aux masques d'argent. Des fouets, des punitions, des sévices, de la discipline, de la violence... Cet univers est un lieu sombre aux contours très flous, attirant et effrayant à la fois. Un lieu où l'auteur se fait un plaisir de nous "enfermer".

Deux peuples : les Martiaux et les Érudits. Un peuple domine, l'autre est durement soumis. D'ailleurs le concept d'esclavagisme et de cruauté est fortement et très bien exploité. Mais il faut comprendre que certaines scènes ne sont pas forcément roses...

En fait rien n'est rose dans ce livre, car l'auteur nous offre un monde particulièrement dur et froid malgré la chaleur étouffante du désert. Car même au sein de la caste dirigeante, la violence fait loi. Ainsi, un jeune enfant soldat déserteur sera fouetté à mort en représailles. Alors certes les esclaves en bavent plus que de raison (nous sommes d'ailleurs totalement immergés dans cette insécurité permanente qui devait (doit) régner lors de l'esclavagisme...), mais les élèves ne sont pas beaucoup plus épargnés. Aucun d'entre eux n'a décidé de son sort et se retrouve là bien malgré lui. En bref, aucun côté positif ou bon enfant dans ce livre à première vue. Attention, je ne dis pas que cela est mal, j'ai été totalement envoûtée par l'histoire et l'univers créé par l'auteur. Mais je pense qu'il faut avoir conscience d'entrer dans un univers particulier aux scènes criantes de réalisme.

"le devoir avant tout. Jusqu'à la mort." [Devise de Blackcliff].

Ici, peu de bons et de méchants, tout est plus nuancé, car la noirceur d'âme règne en maître partout, même au sein de la caste dominante. Quant à la résistance Erudite, ils ne sont pas tous blancs comme neige... Manipulation et sacrifices seront présents des deux côtés de la barrière. Ce côté nuancé me fait penser à Red Rising, où, dans un contexte totalement différent, nous avons aussi des protagonistes ni bons ni mauvais, où les frontières du bien et du mal sont floues, où même la caste supérieure souffre et vit selon un code imposé par une poignée de puissants.

""ce sont les visages de tous les résistants que j'ai pourchassés, de chaque Erudit que j'ai emprisonné et exécuté, la plupart avant que je devienne Commandante. Certains après."
Un cimetière en papier. Cette femme est un monstre. Je détourne le regard."

Malgré toute cette noirceur, quelques notes d'espoir arrivent à filtrer ici et là, et ce dosage subtil est déroutant et magistral. Un sentiment de danger constant amène une réelle ambiance, et nous passons notre temps à chercher ce brin d'espoir dans le voile opaque qu'est la vie à Blackcliff.

De plus, les personnages sont une vraie mine d'or. Ils ont tous une importance capitale et chacun est profondément travaillé. La personnalité mais aussi l'histoire, rien n'est laissé au hasard et tout influence leurs actes présents. Ce qui fait que vous ressentez des sentiments envers eux tous, même les secondaires. Par exemple, La Commandante est d'une perfidie peu commune, à se demander si elle est humaine... Je me prenais à avoir envie de l'embrocher moi-même. Cuisinière (oui les esclaves se font retirer jusqu'au droit d'avoir un nom) est extrêmement mystérieuse mais révèle une véritable richesse à laquelle je ne m'attendais pas pour un personnage que l'on pourrait qualifier de secondaire. Et Fille de Cuisine.... Ah Fille de cuisine, vous donneriez tout pour la protéger tant sa candeur ne mérite pas de se retrouver face à tant d'horreur.

Quant aux personnages principaux ils sont deux. Pas de secret : une Erudite et un Martial.
Laia, donc, est une esclave au service de la Commandante. Éprise de liberté, ayant pour but de sauver son frère, son nouveau leitmotiv au contact de son bourreau sera de survivre. Survivre aux sévices, à la faim, à la maltraitance, à l'humiliation. Laia se croit faible, brisée par les coups, n'arrivant pas aux chevilles de sa mère, que l'on surnommait La Lionne. Pourtant Laia a un altruisme hors du commun et du courage à revendre. Certes elle a peur, mais elle ne serait pas humaine si elle n'avait pas peur du nid de vipères dans lequel elle est tombée. Pourtant, elle prendra des risques inconsidérés. Pour son frère. Pour la liberté.

"La peur est ton ennemie seulement si tu acceptes qu'elle le soit."

Elias, lui, est un Martial. Un soldat d'élite. Mais lui non plus n'a pas choisi d'être là. Il n'a pas choisi sa naissance. N'a pas choisi sa famille. N'a pas choisi son éducation. Mais aujourd'hui il fait un choix pour la première fois : celui du respect. Celui de la liberté.

"Nous serons libres, en effet. Libres de glorifier l'empereur. De violer et de tuer.
C'est drôle comme tout cela ne ressemble pas à la liberté.
Je reste silencieux. Helene a raison. J'attire trop l'attention. A Blackcliff, dès qu'il s'agit de sédition, les élèves sont comme des requins affamés. A la moindre trace, ils affluent."

Laia et Elias sont réellement attachants. Cela rend encore plus difficile le fait de les voir se faire violenter. De plus, Elias doit parfois faire face à son propre courroux, cette colère qui gronde en lui, inculquée depuis ses 6 ans. Il arrive que son propre comportement lui fasse peur. Ainsi, les deux jeunes gens doivent combattre leurs propres démons : la peur pour Laia et l'âme combattante pour Elias.

Ces deux personnages, au cours de leur quête de liberté, seront amenés à se croiser. Chacun suit son chemin, mais ils se retrouveront inévitablement aux mêmes croisements, quitte à continuer de leur côté. Mais ces rencontres seront riches en apprentissage. De soi, des autres ou de la vie.

"Il y a deux sortes de culpabilités. Celle qui te fait sombrer jusqu'à ce que tu ne soit plus bon à rien et celle qui donne une raison d'être à ton âme. Laisse ta culpabilité être ce qui te fait avancer. Laisse-la te rappeler qui tu veux être. Définis une limite dans ton esprit et ne la franchit plus jamais. Tu as une âme. Elle est abîmée, mais elle est là. Ne les laisse pas te la voler, Elias."

Et ces scènes communes sont d'autant plus touchantes et bien menées qu'on les suit des deux points de vue. Elias et Laia nous racontent chacun leur version, la façon dont ils ont perçu un événement commun, leurs émotions et leurs ressentis. Il est intéressant de voir comment une même scène va être perçue par l'un et par l'autre, quels sont les éléments qui divergent et ceux qui les rapprochent. Un peu de magie qui ajoute encore une touche de richesse à cette histoire imprévisible.

J'apprécie aussi que l'on n'ait pas une romance pesante et inutile, ou un triangle amoureux qui vienne entacher l'histoire. Cette dernière est largement assez profonde et n'a pas besoin d'une romance pour combler des trous scénaristiques. Et l'ambiance recherchée ne s'y prête pas. Alors certes il y a des sentiments, amicaux, fraternels, amoureux ou encore quelque peu incertains, qui auront d'ailleurs de forts impacts sur les décisions de nos jeunes gens, mais ils sont crédibles et n'étouffent absolument pas le récit, le servant au contraire de façon fort judicieuse. L'auteur donne le temps à ses personnages d'apprendre à s'apprivoiser.

Ce livre est remarquablement écrit et tout est dosé avec justesse. Les chapitres sont courts et alternent entre le point de vue d'Elias et de Laia. Chacun parle à la première personne et cela nous permet de vraiment les côtoyer de près, d'apprendre à les connaître, d'appréhender la moindre de leur pensée, le moindre doute, la moindre peur, le moindre ... espoir. Car oui, il y a tout de même de l'espoir pour nos héros au sein de ce récit. C'est d'ailleurs ce fil ténu qui nous empêche de reposer ce livre et nous pousse à le continuer... jusque beaucoup trop tard dans la nuit.
L'écriture est belle, poétique, visuelle mais dynamique aussi. Le récit est rythmé et entraînant, plein de surprises, de rebondissements, de retournements de situations. Traîtres, alliés, horreurs à commettre contre son gré, témoins impuissants de la cruauté humaine ou au contraire sauveurs d'âmes désespérées... Rien ne leur est épargné. Ni la douleur, ni le sang, ni les larmes... mais pas non plus les sourires.

Un univers captivant mais sombre et violent qui ne siéra pas à tout le monde, notamment les plus jeunes. Un récit original et rythmé, un univers bouleversant et foisonnant, des personnages atypiques et magnifiques. Une vraie réussite.

Trailer :